Histoire de l'anesthésie

par le Professeur Philippe Scherpereel, Administrateur de notre Association

Depuis le plus haute antiquité, les hommes se sont efforcés de supprimer la douleur. Jusqu'au milieu du XIXe siècle, cet objectif s'apparentait à la poursuite d'une chimère.

Lorsque le 16 octobre 1846, William Thomas MORTON, au Massachusetts General Hospital réalisa la première anesthésie à l'éther, il devint rapidement évident qu'une ère nouvelle s'ouvrait pour la chirurgie. Dans les semaines qui suivirent, les premières se succédèrent à travers le monde, et c'est ainsi que quatre mois plus tard, le Docteur Philippe VANDERHAGEN réalisa la première anesthésie à l'éther à Lille le 11 février 1847, à l'Hôpital Saint-Sauveur.

Cette même année 1847, la première anesthésie au chloroforme fut réalisée à Edimburg par James Young SIMPSON. John SNOW, considéré comme le premier spécialiste en Anesthésie l'administra à la Reine Victoria pour la naissance de son fils le Prince Léopold, d'où l'appellation d' " anesthésie à la reine " qui fut donnée à l'anesthésie au chloroforme. Pendant de nombreuses années, ces deux anesthésiques furent les seuls, avec le protoxyde d'azote, dont on disposa. Les progrès vinrent essentiellement de l'appareillage, marqués notamment par le fameux masque d'OMBREDANNE et par l'apparition de l'intubation trachéale. D'autres techniques apparurent notamment l'anesthésie locale et locorégionale au début du XXe siècle avec l'introduction des anesthésiques locaux, dérivés de la feuille de coca et des techniques d'anesthésie rachidienne et péridurale.

Le véritable pionnier de l'anesthésie intraveineuse est le français Pierre-Cyprien ORE qui en 1872 fait état dans son Rapport à la Société de Chirurgie de Paris de l'utilisation du chloral.

L'essor de l'anesthésie générale intraveineuse débute cependant avec l'utilisation en 1928 par John S. Lundy de l'amital puis du pentobarbital. L'introduction des curares débute en 1942 à Montréal avec GRIFFITH et JOHNSON, tandis que des morphiniques de plus en plus puissants apparaissent dans la pharmacopée. Spécialité médicale reconnue de longue date en Angleterre, ce n'est qu'après la seconde guerre mondiale que les premiers spécialistes français, la plupart formés Outre Manche, feront leur apparition. Dans les années 1950, les premiers anesthésiques halogénés, notamment l'halothane, font entrer l'anesthésie dans l'ère moderne.

De quelques dizaines d'anesthésistes à cette époque, la spécialité va connaître une croissance exponentielle jusqu'à 8 000 spécialistes en France de nos jours. Spécialité jeune et dynamique, l'anesthésie sera non seulement à l'origine d'un extraordinaire développement de la chirurgie mais également de la réanimation, de la médecine d'urgence, avec la création de SAMU, et de la prise en charge de la douleur postopératoire et obstétricale.

Grâce à la découverte d'agents anesthésiques nombreux, de plus en plus efficaces, de plus en plus maniables, au développement des techniques de ventilation et de surveillance, l'anesthésie est devenue sûre et ne doit plus faire peur. Elle fait appel aux techniques les plus sophistiquées pour permettre la surveillance permanente de l'opéré.

Les nouvelles technologies, utilisant largement l'informatique permettent d'adapter la délivrance des agents anesthésiques aussi bien par voie veineuse que par inhalation aux objectifs de concentration pour obtenir une qualité optimale d'anesthésie. La prise en charge du futur opéré dès la consultation d'anesthésie, plusieurs jours avant l'intervention, le développement des techniques d'anesthésie ambulatoire, permettant le retour du patient à son domicile le soir même de l'intervention, la généralisation des salles de surveillance post interventionnelle, des secteurs de soins intensifs et de réanimation chirurgicale imposent peu à peu le concept de médecine périopératoire, qui réalise conjointement avec la prise en charge chirurgicale du patient une approche médicale globale de la période opératoire.

Le contrôle de la douleur postopératoire, longtemps la hantise des opérés peut être obtenu désormais par une large gamme de moyens, incluant l'analgésie contrôlée par le patient, à l'aide de pompes de perfusion informatisées et les techniques d'analgésie rachidienne utilisant anesthésiques locaux et morphiniques.

En un demi-siècle, l'anesthésie a formidablement progressé et elle est devenue une spécialité majeure, à la pointe de la modernité grâce aux progrès pharmacologiques et technologiques.

Elle a permis et accompagné l'évolution de la chirurgie et étendu à l'ensemble des actes douloureux, endoscopie, imagerie… le bénéfice du contrôle de la douleur.

La première anesthésie lilloise

Philippe Vanderhagen

La première anesthésie à l'éther à Lille eut lieu le 11 février 1847, quelques semaines après la première mondiale à Boston.

Elle se déroula à l'hôpital Saint Sauveur, sous la direction de Philippe Vanderhagen, chef du service de chirurgie. Le patient, Jean-Baptiste Martinelli, fileur de lin dans la filature Delespaul à Lille, devait subir une amputation du bras qui avait été happé dans une carde mise en mouvement par une machine à vapeur. Après une inhalation de 5 à 6 minutes de vapeurs d'éther avec un appareil de Charrière, l'amputation fut promptement réalisée avec succès.

Une description clinique minutieuse figure dans le rapport qu'en fit le Dr. Vanderhagen dans le n°2 du Bulletin Médical du Nord de l'année 1847.

Ci-contre : Le Docteur Philippe Vanderhagen.